L’aviation légère trace la route vers l’aérien décarboné
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L’aviation légère trace la route vers l’aérien décarboné

Début Q4 2023, dans un contexte marqué par l’inflation et la crise énergétique, le trafic aérien mondial retrouve 97,1% de son niveau pré-covid. Ces chiffres confirment la dynamique du secteur qui prédit un retour à la normale courant 2024. Pourtant, cette tendance interroge face aux engagements fixés par l’Organisation de l’Aviation civile Internationale (OACI). En octobre dernier, son assemblée générale a adopté la neutralité carbone en 2050 comme objectif climatique, afin de s’aligner sur les Accords de Paris, souhaitant limiter à 2°C l’augmentation globale des températures par rapport à l’ère préindustrielle. Pour rappel, en 2018, les émissions de CO2 liées à l’aviation civile mondiale représentaient 2,6% des émissions mondiales. En prenant en compte les effets du forçage radiatif *, cela totalisait 5% des émissions mondiales.

 

Le défi écologique s’annonce donc colossal pour tous les acteurs du secteur, car il s’agit de diviser par 10 les émissions de CO2 par passager et par kilomètre. A titre comparatif, Airbus avait annoncé une réduction de l’empreinte carbone de 15 à 20% pour le passage d’un A320 à sa version modernisée A320Neo. Les avionneurs doivent développer d’urgence des technologies de rupture pour de nouveaux appareils moins polluants.

 

Dans cette course contre la montre, le secteur de l’aviation légère est en première ligne et joue le rôle de démonstrateur pour sa grande sœur, l’aviation de transport commercial. En effet, ce sont sur ces petits appareils de voltige ou de tourisme que les nouvelles technologies sont éprouvées, dans le but de décarboner le secteur, avant le passage à l’échelle. En ligne de mire, la fameuse certification, graal des avionneurs, attestant de la sûreté de l’appareil et ultime étape avant sa commercialisation.

 

Les batteries électriques, l’hydrogène ou à plus court terme les SAF (Sustainable Aviation Fuel) sont des technologies émergentes qui dessinent les nouvelles architectures des aéronefs de demain. En voici quelques caractéristiques.

1. LE COEUR DE L’AVION BAT ELECTRIQUE

 

Les batteries sont un pilier de la décarbonation. On les trouve déjà partout dans notre quotidien : dans nos ordinateurs, nos téléphones, nos voitures…mais quels sont les freins pour l’implémentation dans l’aéronautique ? En tant que pionniers, certains acteurs de l’aviation légère sont déjà bien avancés, à l’image du constructeur Pipistrel dont le Velis Electro, biplace conçu pour l’apprentissage, est le premier avion électrique mondial à avoir reçu une certification de l’EASA. On pourrait également citer Aura Aero, visant la certification d’ici 1 à 2 ans pour son biplace électrique, Integral-E.

 

QUELLES PARTICULARITES POUR L’AERONAUTIQUE ?

 

Les exigences du secteur aérien restent peu exprimées face au secteur automobile et donc mal appréhendées par les industriels de la batterie. Le domaine automobile a pris de l’avance et finance des investissements massifs dans le monde entier, notamment en France.  Voici quelques contraintes particulièrement importantes pour l’aéronautique :

 

– SURETE. Il s’agit de l’aspect le plus important du cahier des charges des avionneurs, afin de pouvoir passer la certification. Les contraintes de l’aéronautique sont strictes et il ne s’agit pas de mettre en péril l’image de sûreté acquise par le secteur en moins d’un siècle. Les composants inflammables sont particulièrement critiques et il faut regarder l’ensemble des dégradations potentielles pour s’en prémunir : ventilation des compartiments pour limiter la propagation de la chaleur, cloison anti feu, mission en mode dégradé… Les batteries à technologie « céramique » ou les batteries « tout solide » sont à l’étude pour rendre les batteries plus sûres. Par ailleurs, les batteries doivent être suffisamment robustes pour résister aux crashs (e.g. test de résistance à des chutes libres de 15 m).

MASSE. Le poids est un des paramètres architecturaux les plus importants de l’industrie aéronautique. De nouvelles technologies basées sur le lithium permettraient de remplacer les métaux lourds et ainsi gagner en masse.

–  DENSITE D’ENERGIE. La densité énergétique des batteries est un levier majeur. Aujourd’hui, elle est encore très loin d’être égale à celle du kérosène. Pour avoir en tête un ordre de grandeur, le kérosène alimentant les moteurs d’avions est environ 20 à 25 plus dense énergétiquement qu’une batterie au lithium. Le magnésium ou le calcium sont envisagés afin de remplacer le lithium et ainsi doubler la densité des batteries. Mais ces dernières années, peu de progrès ont été faits dans ce domaine et l’architecture hybride du groupe propulsif apparait comme l’alternative recommandée : électrique pour les missions courtes, hybride pour les missions plus longues. Certains font également le choix d’électrifier les systèmes de l’avion, et de développer la batterie de démarrage pour des gains de poids et maintenance.

– DURABILITE. La volonté dans l’aéronautique est de tendre vers 3000 cycles de recharge, alors qu’actuellement, l’automobile n’exige « que » 1000 à 1500 cycles de recharge.

– TEMPS DE RECHARGE. Dans l’aviation légère, un des enjeux majeurs des aéroclubs est de maximiser le temps de vol face au temps d’immobilisation (recharge des batteries) par exemple lors des périodes de pleine affluence. A titre d’exemple, le Pipistrel Velis Electro annonce un temps de recharge de 2h pour voler environ 45 min. On peut légitimement s’interroger sur la scalabilité de cette solution sachant que les compagnies aériennes ne dépassent pas les 30 min au sol entre 2 vols.

– GAMME D’UTILISATION. Les conditions d’utilisation sont plus larges que pour la voiture, typiquement pour la plage de température opérationnelle avec des variations de -40°C à + 50°C. Or dans le même temps, la fenêtre d’opération optimale d’une cellule de batterie actuelle est restreinte : en dessous de 5°C, cette dernière est très peu performante.

– BESOIN DE PUISSANCE VARIABLE. Bien entendu, assurer la continuité de la puissance est primordial tout au long du vol. Toutefois, il faut également pouvoir fournir des pics de puissance nécessaires lors de certaines phases, notamment le décollage qui est bien plus énergivore que le vol de croisière.

RECYCLAGE. La fin de vie et le recyclage des batteries est un sujet naissant. On peut imaginer une deuxième vie et du réemploi vers des applications domestiques nécessitant une densité de puissance beaucoup plus faible comme l’alimentation des appareils ménagers. La filière du démantèlement des batteries et du retrofit d’anciennes batteries (remplacement des métaux lourds)  a un bel avenir devant elle.

 

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2. L’AVION RESPIRE HYDROGENE

 

L’alternative aux batteries réside peut-être dans les technologies utilisant le dihydrogène. Une concordance d’événements sociétaux et environnementaux pousse leur essor dans le secteur aéronautique : vieillissement de la flotte existante (30 ans de moyenne d’âge), maturité de la technologie, acheminement sur les réseaux terrestres (routes, rails, plans d’eaux…), respect des contraintes environnementales fixées par l’OACI, etc… Le contexte favorable est tiré par de très nombreux financements publics et privés.

L’hydrogène est un élément chimique très léger ce qui le rend difficile à extraire de son environnement à partir d’une énergie primaire. On qualifie le dihydrogène de « green » si l’énergie primaire pour le produire est propre, et de là en découle un code couleur de catégorisation du dihydrogène. Au niveau européen, la règlementation fixe à 3 kg de CO2 par kg de dihydrogène la définition de « dihydrogène décarboné ». Malheureusement, aujourd’hui la formation de dihydrogène, pour des besoins industriels, est assurée majoritairement par des procédés thermochimiques reposant sur les énergies fossiles.

L’hydrogène peut être utilisé directement comme combustible (avion à hydrogène) en alimentant un moteur à combustion ou comme vecteur énergétique via l’électrolyse dans une pile à combustible (avion électrique). Dans ce second cas, l’hydrogène alimente des piles à combustibles et fournit de l’électricité aux moteurs électriques pour la propulsion, en se passant de batterie.

 

ENJEUX ET SPECIFICITES POUR L’AERONAUTIQUE

Tous les acteurs sont unanimes pour dire que l’aviation légère constitue le parfait terrain de jeu pour tester des architectures hydrogène, avant de passer à l’aviation commerciale. Les entreprises parient sur le dihydrogène pour alimenter des piles à combustibles, avec des stratégies d’architecture produit différentes : retrofit sur produits existants ou bien nouvelles architectures complètes (Beyond Aero, Blue Spirit Aero). Plusieurs démonstrateurs sont attendus pour 2024 avec l’objectif de passer les premières certifications en 2026. Voici quelques grands enjeux.

– ARCHITECTURE. Pour construire les démonstrateurs et prototypes, deux philosophies s’affrontent :

  • – Repartir de la chaine propulsive classique / historique de l’avion à kérosène et l’adapter afin de faire une démonstration à dihydrogène
  • – Démarrer de la feuille blanche et imaginer une toute nouvelle architecture répondant aux spécificités du dihydrogène, depuis le stockage jusqu’au groupe propulsif

– STOCKAGE. Si le dihydrogène présente l’avantage d’être dense énergétiquement, un avion de transport commercial en aura besoin en grande quantité. Par ailleurs, l’hydrogène gazeux occupant un volume très important à température et pression atmosphérique, la solution de stockage du dihydrogène est donc le point clé car il s’agit d’un stockage sous haute pression. C’est actuellement la solution retenue dans le domaine automobile (compression à 700 bars, soit 700 fois la pression atmosphérique). Pour encore augmenter sa densité, une solution est de le liquéfier en le refroidissant à -253°C. C’est ce procédé qui alimente le moteur de la fusée Ariane. Il faut ainsi maintenir le dihydrogène à l’état liquide dans des réservoirs cryogéniques, fortement énergivores.  C’est sur ce point majeur que la filière aéronautique a le moins de recul. Cela impacte directement l’architecture de l’aéronef car la taille et la forme de ces réservoirs sont à définir.

– MATERIAU. Stocker un volume aussi grand de dihydrogène tout en le maintenant à des conditions de températures si extrêmes nécessite l’utilisation de matériaux innovants pour constituer le réservoir cryogénique. Le matériau candidat idéal doit être parfaitement étanche (afin d’empêcher les fuites du très léger gaz), isolant thermiquement et rigide afin d’absorber les chocs et différentiels de pression.

– SURETE.  Dans les choix de compromis de conception autour du stockage, la sûreté de l’aéronef est un enjeu majeur en vue de la certification, puis du passage à la série.  Même si le débat reste ouvert sur la dangerosité réelle de l’utilisation du dihydrogène (dans le cas aérien), il faudra ensuite réussir à rassurer les passagers.

– LOGISTIQUE. Enfin, c’est toute la chaîne logistique qui est à prévoir : depuis la production du dihydrogène via des énergies renouvelables jusqu’à son acheminement jusqu’aux aéroports, sa liquéfaction ou compression, et alimentation rapide dans les avions, tout cela en respectant les coûts d’exploitation actuels des compagnies aériennes.

 

3. L’AVION CARBURE AUX BIOFUELS SANS CHANGER DE SQUELETTE

 

En 2016, Oslo devient le premier aéroport international à proposer du SAF. Le SAF, Sustainable Aviation Fuel, ou CDA, Carburant Durable d’Aviation, est le nom donné aux carburants de synthèse, alternatifs, certifiés « durables » d’un point de vue social, environnemental et économique. Il s’agit d’un carburant dit « drop in », pouvant être mélangé au kérosène sans modifier l’architecture des aéronefs actuels. Ces carburants sont dérivés de matières premières durables, telles que les huiles issues de déchets et résidus (huiles de cuisson usagées, graisses animales), les résidus agricoles et forestiers, ou les gaz riches en carbone. Actuellement, la norme permet de les mélanger jusqu’à 50% avec du kérosène d’aviation mais l’industrie vise 100% d’ici à la fin de la décennie. En effet, les SAF présentent de nombreux avantages sur le court terme :

– Réduction des émissions de CO2 par rapport au kérosène classique

– Modification mineure du groupe propulsif demandant un investissement minime de la part des compagnies aériennes sans renouvèlement de leur flotte

– Diversification des sources d’approvisionnements en carburant

Les SAF constituent l’alternative « green » utilisable dès à présent pour réduire les émissions de CO2 du secteur aérien. En revanche, le volume croissant demandé par cette industrie met en compétition l’utilisation de terres arables dédiées à cette culture en regard de l’agriculture destinée à nourrir les hommes et le bétail (pour les carburants dits de première génération).

 

En résumé

Dans un avenir proche, l’aviation légère constitue un terrain de démonstration aux alternatives du kérosène. Concernant les batteries, la maturité apportée par le secteur automobile a gravi la première marche et permettra ensuite d’étendre les besoins aux spécificités du monde aérien. La start-up haute-garonnaise Limatech, vise une certification de ses packs batteries lithium à horizon 2024-2026, tandis que de nouveaux avionneurs misent sur des architectures propulsives hybrides utilisant les batteries, à l’image de Voltaero ou encore des toulousains Ascendance Flight Technologies et Aura Aero.

Le dihydrogène fait également l’objet de nombreuses études et prototypes afin d’entrer en jeu d’ici 15 ans pour l’aviation commerciale. Citons notamment Beyond Aero, Blue Spirit AeroH3 dynamics ou encore Universal Hydrogen, acteurs de l’aviation légère pariant sur le dihydrogène. Notons que sur ce point, le passage à l’échelle commerciale dépendra fortement de la capacité à produire de l’hydrogène décarboné, alimenté par un parc éolien ou nucléaire.

Ces deux technologies offrent des espoirs de décarboner le secteur d’ici 15 à 20 ans. Les premiers prototypes seront plus chers, et ce coût de la « chasse au CO2 » pourrait alors se faire ressentir directement sur les billets vendus par les compagnies aériennes.

Les acteurs clés du secteur commercial surveillent de près ces transformations et avancées pour assurer de la veille technologique et être à la pointe des dernières tendances. C’est le cas du constructeur européen Airbus, et sa filière Airbus Développement, qui a soutenu 1500 entreprises depuis 25 ans, et notamment des start-ups dans les régions où il est présent. C’est le cas de Blue Spirit Aero, travaillant sur un aéronef de 4 places 100% dihydrogène dès 2026, et récompensé l’année dernière par Airbus Développement. Son concurrent américain offre le même accompagnement via le programme Startup Boeing.

Enfin, il est primordial de rappeler que les solutions présentées ci-dessus reposent sur des innovations technologiques s’inscrivant dans des plans de renouvellement des flottes aériennes par les compagnies, et représentant de forts investissements pour chacun des acteurs. Pour respecter au mieux la trajectoire dessinée jusqu’à 2050, et afin d’atteindre la neutralité carbone, une réflexion sociétale d’ampleur sera également nécessaire pour réussir la transformation vers l’aviation du futur, responsable, et énergétiquement sobre.

 

 

* Forçage radiatif terrestre : Les trainées blanches laissées par les avions dans le ciel sont appelées trainées de condensation (‘contrails’ en anglais) et sont le résultat de la rencontre entre l’air chaud des réacteurs et l’air à cette altitude, froid et humide. « Les trainées persistantes et les cirrus induits accentuent le réchauffement climatique (surtout les cirrus) : ils absorbent une partie du rayonnement provenant de la Terre et le réémettent vers le sol, tout en étant trop fins pour avoir un effet d’albédo qui pourrait contrebalancer ce réchauffement. Si leur impact est difficilement quantifiable avec précision, on estime généralement que cela doublerait le forçage radiatif de l’aviation ».

Source :  https://www.carbone4.com/trainees-de-condensation-impact-climat & https://www.nature.com/articles/s41467-018-04068-0

 

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