À l’heure où les organisations industrielles s’engagent dans des trajectoires de transformation numérique, écologique et réglementaire, une réalité s’impose : la gouvernance des données n’est plus un sujet périphérique. Elle constitue désormais un socle essentiel, sans lequel ni technologie avancée, ni transition durable, ni pilotage stratégique ne peuvent produire leurs effets.
Pourtant, la gouvernance reste souvent mal appréhendée. Perçue comme une démarche administrative fastidieuse, lente, elle souffre aussi d’une approche souvent trop technocentrée. Or, l’absence de gouvernance ne compromet pas seulement la conformité d’une organisation, elle fragilise la capacité même à transformer les modèles industriels. Il ne s’agit donc pas d’ériger la gouvernance comme un objectif en soi, mais de la reconnaître comme une condition de possibilité des mutations contemporaines.
Des technologies performantes… à condition d’être bien alimentées
L’essor des systèmes intelligents, des plateformes interconnectées et des outils d’aide à la décision peut laisser croire que la technologie se suffit à elle-même. Pourtant, derrière chaque algorithme performant ou interface fluide se cache une réalité déterminante : la qualité des données d’entrée. Le principe est simple, mais implacable : Garbage In, Garbage Out. Un algorithme mal alimenté produira des résultats biaisés. Un ERP mal renseigné générera des ruptures de stock ou des erreurs de facturation. Un système de pilotage environnemental incomplet faussera les bilans carbones ou analyses d’impact. Même les API, pourtant conçues pour fluidifier les échanges, ne tiennent leurs promesses que si des règles de version, des normes de structuration et des protocoles de sécurité ont été définis en amont.
La qualité de la donnée ne relève donc pas du simple confort : elle est une condition de validité, de rentabilité et de légitimité des outils déployés. Or, dans de nombreuses organisations, les projets technologiques échouent non par manque de puissance ou de licences, mais par absence de gouvernance : données hétérogènes, responsabilités floues, circuits de validation inexistants. Autrement dit, ce n’est pas la puissance d’un outil que les utilisateurs vont rejeter, c’est plutôt la capacité à utiliser des données à jour et à se fier aux résultats produits au sein de leurs processus. Pour y remédier, plusieurs leviers peuvent être activés :
- Automatiser les contrôles de qualité : détection des valeurs manquantes, standardisation des terminologies, identification des incohérences ;
- Définir des modèles de données interopérables : pour garantir la cohérence entre systèmes et éviter les silos ;
- Intégrer la gouvernance au niveau des interfaces : via une gestion rigoureuse des API (découvrabilité, sécurité, scalabilité, documentation).
Attention à ne pas se méprendre, la gouvernance des données n’est pas un frein à l’innovation technologique : elle est le garde-fou qui garantit que les outils soient correctement exploités (en termes de qualité, risque cyber, processus et exploitation).
L’exemple de l’économie circulaire : la donnée comme condition de pilotage environnemental
Un exemple emblématique peut être celui de la transition écologique, qui impose aux entreprises industrielles de repenser en profondeur leurs modèles. Dans un contexte où la circularité devient une exigence (réglementaire, stratégique, sociétale), la transformation ne peut se limiter aux flux physiques. Elle repose tout autant sur une infrastructure d’information robuste, sans laquelle aucun pilotage environnemental n’est possible.
Traçabilité des composants, réparabilité des produits, mesure de l’empreinte carbone, identification des points de rupture dans le cycle de vie : autant d’enjeux qui exigent des données précises, interopérables et standardisées. Les dispositifs tels que le Passeport Numérique de Produit ou des démarches d’Analyse du Cycle de Vie (ACV), sont autant d’exemples qui nécessitent non seulement la collecte d’informations fiables, mais aussi leur communication dans un cadre de gouvernance multipartite, entre industriels, sous-traitants, distributeurs, réparateurs et utilisateurs finaux.

L’évolution vers les modèles circulaires implique ainsi par exemple :
- L’identification d’attributs critiques de durabilité dès la conception : matières premières, durée de vie estimée, critères de démontabilité, origine géographique ;
- La mise en place de dispositifs d’identification numérique robustes : QR codes, balises NFC, systèmes distribués, permettant d’associer chaque produit à son historique ;
- L’harmonisation des indicateurs clés : comme le eDIM (Estimated Disassembly Time), pour comparer produits et fournisseurs sur des bases communes ;
- La sécurisation des données de traçabilité : via des solutions auditables, telles que les registres distribués ou les blockchains privées.
Autant d’éléments qui ne relèvent pas de seulement de la communication, mais du pilotage opérationnel de la transformation.
Articuler les grandes transformations
Un constat s’impose : il ne peut y avoir de transformation à grande échelle sans gouvernance de la donnée. Cette dernière dépasse largement le cadre de la conformité : elle constitue l’armature clé permettant de faire dialoguer technologie, métier, réglementation et durabilité.
Encore faut-il éviter deux écueils fréquents : d’un côté, la dérive techniciste (catalogues, outils, référentiels déconnectés des usages) ; de l’autre, la paralysie stratégique (grands plans sans débouchés opérationnels). L’enjeu n’est pas de normer pour normer, mais bien de rendre la donnée actionnable, fiable et partagée.
Cela suppose :
- D’ancrer la gouvernance dans les cas d’usage concrets : fiabilité d’un indicateur stratégique, sécurisation d’un flux réglementé, performance d’un parcours client ;
- De désigner des responsables par domaine (data owners, référents métiers) pour garantir la qualité et l’accès et la circulation des données critiques ;
- D’introduire les outils de manière progressive, une fois les besoins et rôles clarifiés : la technologie ne crée pas de gouvernance, elle l’accélère si elle est bien appréhendée ;
- De mesurer en continu les résultats obtenus : réduction des erreurs, amélioration des prévisions, fluidité des échanges, appropriation des référentiels.
La gouvernance des données n’est pas un chantier parallèle aux transformations en cours : elle en est une condition. En fiabilisant les technologies, en objectivant les impacts environnementaux, en optimisant les processus métier et en sécurisant les usages, elle constitue l’un des rares leviers transversaux capables d’articuler innovation, régulation et performance.
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